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  • En profondeur

Peurs existentielles croissantes dans un pays riche

10.05.2024 – Theodora Peter

La Suisse est considérée comme un îlot de prospérité. Toutefois, dans ce pays qui est l’un des plus riches au monde, la vie est plus chère que jamais. Le niveau élevé des coûts, surtout ceux de la santé et du logement, pèse de plus en plus aussi sur la classe moyenne.

Une existence dénuée de tout souci financier. C’est ainsi qu’on se figure souvent la vie en Suisse, pays riche s’il en est, le niveau de vie helvétique faisant partie des plus hauts d’Europe. Seuls le Luxem­bourg et la Norvège affichent un revenu disponible plus élevé encore.

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Cependant, ce cliché de prospérité n’est vrai que pour 20 % des ménages, ceux qui possèdent un revenu mensuel brut de plus de 8508 francs pour une personne seule ou de plus de 17 867 francs pour une famille de quatre. Tous les autres ménages doivent se débrouiller avec moins, les 20 % aux revenus les plus faibles devant même se contenter de moins de 3970 francs pour une personne seule et de moins de 8338 francs pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. Les chiffres les plus récents de l’Office fédéral de la statistique se réfèrent à l’année 2021. Le revenu brut d’un ménage comprend toutes ses rentrées d’argent: salaires, pensions et autres apports financiers.

Près de 60 % de la population vivant en Suisse possède donc un revenu moyen. Mais même dans la classe moyenne, il existe des différences énormes entre les ménages. Selon les statistiques, tous ceux qui atteignent entre 70 et 150 % de ce qu’on appelle le «revenu brut équivalent médian» font partie de la classe moyenne. Exprimé en francs, cela signifie qu’un célibataire qui gagne 8500 francs par mois et une retraitée dont le budget atteint tout juste 4000 francs font tous deux partie du groupe à revenus moyens. Pour une famille de quatre personnes, cette fourchette se situe entre 8338 et 17 867 francs. Quels sont les postes de dépenses d’une famille issue de la classe moyenne? L’exemple fictif de la famille Meier nous le révèle.

Les familles peinent à joindre les deux bouts

Les familles avec des enfants, en particulier, sont soumises à une pression financière croissante. C’est ce que montre le Baromètre des familles 2024 de Pro Familia Suisse: lors du dernier sondage, 52 % des personnes interrogées ont indiqué que leur revenu leur suffisait à peine pour vivre ou était insuffisant. Un an auparavant, elles étaient 47 %. La plupart ne songent même pas à mettre de l’argent de côté pour les périodes difficiles ou pour la prévoyance vieillesse facultative du 3e pilier: deux tiers des sondés déclarent ne pas pouvoir épargner d’argent, ou au maximum 500 francs par mois. Pour quatre familles sur dix, le coût élevé de la vie est même une raison de renoncer à avoir d’autres enfants. Près de la moitié des personnes interrogées envisage une augmentation du taux de travail de l’un des parents ou des deux. Mais cela ne vaut la peine que si les enfants n’ont pas besoin d’une garde extérieure. Car les frais de garde de jour, élevés en comparaison internationale, engloutissent parfois immédiatement le gain supplémentaire réalisé.

Le Surveillant des prix constate lui aussi que la population souffre. De plus en plus de citoyens inquiets s’adressent à lui.

L’explosion des primes des caisses-maladie, la hausse des loyers et des tarifs de l’énergie et l’augmentation globale du coût de la vie pèsent sur le budget de toute la population. Le Surveillant fédéral des prix, Stefan Meierhans, note lui aussi le mécontentement qui monte dans le pays: au cours des deux dernières années, son service a enregistré un nombre record de demandes de citoyens inquiets. En 2023, il a reçu 2775 requêtes, dont certaines émanant de personnes qui ne savent plus comment payer leurs factures. «La peur d’une précarisation générale a pris de l’ampleur», a observé Stefan Meierhans lors de sa conférence de presse annuelle au printemps.

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La hausse des prix, une nouvelle réalité

Le Surveillant des prix a pour mission de protéger la population contre des prix excessifs, surtout dans les branches où ne règne aucune concurrence. L’an dernier, il est par exemple intervenu dans les tarifs des transports publics (TP), parvenant à faire en sorte que les titulaires d’un abonnement général (AG) de 2e classe déboursent moins que ce que demandait la branche des TP. À l’avenir, au lieu de la somme rondelette de 4080 francs, l’AG ne coûtera «que» 3995 francs, soit 135 francs de plus qu’aujourd’hui. Dans l’ensemble, les prix des TP augmenteront tout de même d’environ 4 %. Et même «Monsieur Prix» ne peut rien faire contre les hausses de prix justifiables, par exemple lorsque le coût de l’électricité augmente ou que des investissements sont nécessaires: «Nous devons nous habituer à la nouvelle réalité de la hausse des prix.» Cette année, Stefan Meierhans entend veiller à ce que l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée ne soit pas répercutée de manière excessive sur les consommateurs. Pour ce faire, il organisera en milieu d’année un Sommet sur le pouvoir d’achat, auquel participeront aussi des acteurs de l’économie.

En ce qui concerne les coûts de la santé, le plus grand sujet de préoccupation des Suisses, le Surveillant des prix estime que des baisses de prix seraient possibles notamment pour les médicaments ou les tarifs des hôpitaux et des laboratoires. Néanmoins, les dépenses liées au secteur de la santé augmentent chaque année d’environ 3 %. Cela est dû au fait que la population vieillit et que tout le monde va plus souvent chez le médecin. Par conséquent, les primes des caisses-maladie ont plus que doublé ces 20 dernières années. Une famille de quatre personnes débourse aujourd’hui jusqu’à 1250 francs par mois pour l’assurance de base.

La cherté des coûts de la santé est le plus grand sujet de préoccupation des Suisses. Depuis 20 ans, les primes des caisses-maladie ont plus que doublé.

L’assurance-maladie est également un sujet récurrent en politique. Les différents acteurs n’ont jusqu’ici pas réussi à se mettre d’accord sur des réformes pour faire baisser les coûts de la santé. Le Parlement place ses espoirs dans un nouveau modèle de financement qui crée davantage d’incitations pour les traitements ambulatoires sans hospitalisation coûteuse. Parallèlement, les partis politiques propagent leurs propres recettes: le 9 juin, deux initiatives populaires seront soumises aux votations. Tandis que le parti du Centre souhaite mettre en place un frein aux coûts, le PS exige davantage de moyens publics pour les réductions de primes (pour en savoir plus à ce sujet, voir l'article Deux initiatives populaires contre la cherté des coûts de la santé).

Les logements abordables sont rares

Le logement est un autre poste important du budget des ménages. Contrairement à ce qu’il se passe dans de nombreux pays, seule une minorité de personnes peuvent s’offrir un bien immobilier en Suisse: 58 % de la population vit en location. Or, sur un marché du logement asséché, il est de plus en plus difficile de trouver un logement abordable. Ces 15 dernières années, les prix moyens de l’offre ont augmenté de 20 %. Dans les grandes villes telles que Zurich et Genève, les petites annonces qui proposent des logements coûtant plus de 3000 francs par mois sont désormais monnaie courante. L’Association des locataires estime que cela est dû à la «soif de profits» de la branche immobilière. Jusqu’ici, les revendications de la gauche pour un contrôle des loyers par l’État ont échoué. Récemment, le Conseil fédéral s’est du moins montré prêt à examiner les règles de fixation des loyers.

Les frais d’alimentation sont moins ruineux. En 2021, le ménage suisse moyen a dépensé 6,8 % de ses revenus en nourriture. Dans de nombreux pays européens, cette dépense s’élève à près du double, atteignant même plus de 28 % en Roumanie. Néanmoins, en Suisse aussi, la population remarque que le prix des courses hebdomadaires au supermarché, d’une tasse de café au restaurant ou des timbres à la poste a augmenté. La hausse des prix est de plus en plus perceptible au quotidien et pèse sur le moral de la population. Ainsi, la certitude d’une prospérité prétendument stable en Suisse s’effrite aussi.

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Plongée dans le budget d’une famille de la classe moyenne

La famille Meier compte quatre personnes et vit dans une grande ville suisse. Les deux parents travaillent à temps partiel et réalisent ensemble un revenu net de 9000 francs par mois.

Le plus grand poste du budget du ménage est le logement: pour la location de leur appartement de quatre pièces, les Meier déboursent chaque mois 2200 francs, charges comprises. À cela s’ajoute la facture d’électricité et de gaz, qui s’élève à 150 francs. Les primes d’assurance-maladie et d’autres assurances se montent à 1300 francs. Pour les impôts, les Meier doivent mettre de côté environ 1000 francs par mois.

Les achats alimentaires et ménagers coûtent 1200 francs. La facture pour la connexion Internet, les téléphones mobiles et les taxes TV et radio s’élève à 250 francs. La famille Meier réserve environ 1000 francs par mois en moyenne pour les vêtements et chaussures, le coiffeur et les loisirs. Cette somme ne comprend pas les cours de musique de la fille (10 ans) et du fils (8 ans), qui reviennent à 250 francs par mois.

Les parents travaillent à 80 et 60 %. Trois jours par semaine, l’un d’entre eux s’occupe à tour de rôle des tâches familiales et prépare à dîner aux enfants. Deux fois par semaine, ceux-ci fréquentent l’école à horaire continu, ce qui coûte 800 francs. Par le passé, quand les enfants n’allaient pas encore à l’école, les parents payaient plus du double pour leur garde dans une crèche.

Les Meier n’ont pas de voiture. Les abonnements de transports publics, la location occasionnelle de véhicules en autopartage et les coûts liés à leurs vélos leur reviennent à 750 francs par mois.

La famille met de côté 600 francs pour des provisions et des imprévus. Il s’agit essentiellement de dépenses non couvertes par l’assurance de base de la caisse-maladie: outre la franchise et la quote-part, les rendez-vous chez l’opticien ou la dentiste peuvent rapidement coûter cher. Un appareil dentaire pour les enfants coûte plusieurs milliers de francs.

Cumulés, tous ces postes budgétaires engendrent des dépenses potentielles de 8500 francs par mois. Il reste donc à cette famille de la classe moyenne 500 francs pour les vacances et l’épargne vieillesse. Les familles aux revenus inférieurs ne disposent souvent pas de cette marge de manœuvre financière. (TP)

 

En profondeur: Deux initiatives populaires contre la cherté des coûts de la santé

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Commentaires :

  • user
    Jean-Michel Richard, Maroc 16.05.2024 à 20:17

    J'ai toujours pensé que les chiffres donnés par l’Office fédéral de la statistique ne reflètent en aucun cas la réalité de la situation en Suisse. Et je me suis souvent demandé à quoi servait Monsieur Prix dont on entend jamais parler. J'ai eu la chance de m'établir au Maroc. Mon deuxième pilier que j'ai pris, est resté en Suisse pour offrir des études à mes enfants. Donc, je vis qu'avec la retraite, mais bien mieux que si j'étais resté en Suisse. La Suisse redeviendra attrayante le jour où les lobbyistes ne pourront plus siéger à Berne. Le pays se portera ainsi dix fois mieux. Après une 13e rente votée par le peuple, j'attends aussi avec impatience que l'AVS pour les couples mariés soit égale à celle des concubins.

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    Arye-Isaac Ophir, Israel 16.05.2024 à 14:41

    Also, muss ich das nun dahingehend verstehen, dass die Schweizer verarmen, weil die Schweiz reich ist?

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      Jean-Michel Richard, Maroc 16.05.2024 à 20:27

      Monsieur Ophir, les Suisses s'appauvrissent car le coût de la vie en Suisse est beaucoup trop élevé. 40% à 50% de gens ne paient pas d'impôt, dès lors, les classes moyennes supérieure et inférieure sont dans l'obligation de passer à la caisse. Et je ne parle pas du coût des assurances-maladie qui sont un parfait scandale.

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    Rudolf Megert, Rio de Janeiro, Brasilien 13.05.2024 à 16:29

    Aus der internationalen Perspektive betrachtet ist es nicht nur in der Schweiz so schlecht, sondern es geht Kanadiern, Deutschen und Brasilianern genauso! Das hilft zwar niemandem, aber es zeigt etwas sehr Wichtiges auf: Die "Bürostuhl Monarchien" haben in den 00 und 10er Jahren sehr viel kaputt gemacht für die allgemeine Bevölkerung - und diese neueste Form der Monarchien hat bisher noch nichts Nützliches unternommen, um diese gravierenden Fehler zu korrigieren!

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    Joachim Heidrich, Philippines 12.05.2024 à 14:56

    You omitted to talk about the pensioners with considerably lower pensions than you mention in your article. Who, in the end, have to choose to emigrate to a lower cost country to live a decent life.

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  • user
    Laurent Favre, London, Great Britain 12.05.2024 à 09:22

    The last part of the article is not a budget, it is "How to spend a full 9000CHF". This is not how a budget is done for a family. The question you should ask is "How do we do a budget for a couple?".


    a) we do not overspend.


    b) we work 100%.



    Example:


    Revenues for a 100% household: 9000*1.35 (because they work 80% and 60%) = 12'1150


    - rent: 3000 (not 2200CHF)


    - insurance: 1300


    - car and train (a family in CH has a car): 600


    - food (no caviar as in the article example :-) ): 800


    - clothes, shoes, hairdressers, nails: 600


    - 4 weekends spending: 400


    - 2 kids spending (all included for 2 kids): 400


    - house items: 100


    - cash for pockets for parents: 400


    - tax (22%): 2800


    =Total: 1850.


    This represents a 15% EBITDA for that family to put in the pension fund which is good.

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    • user
      Vera Schneemann, Langeac, France 15.05.2024 à 12:56

      Je remarque qu'en Suisse beaucoup se plaignent sur un niveau assez élevé!

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