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«De beaux matches contre des adversaires sympas»

31.07.2018 – Theodora Peter

L’argent régit le monde du football. Pourtant, il existe en Suisse une ligue alternative qui, à ses débuts, connaissait le droit de grève. Pour ses joueurs idéalistes, la troisième mi-temps était primordiale.

Dimanche, c’est jour de match. Sur les pelouses du Hardhof zurichois, «AC Tabula Rasant» joue contre «FC Widerstand Wipkingen», «Real Azul» contre «Zwietracht Turicum», «FC Tormotor 07» contre «Olympique Lettenwiese». Trois matches dont le coup de sifflet est donné en même temps pour que les 46 équipes de la ligue alternative zurichoise, dont huit équipes féminines, s’affrontent entre 10h00 et 18h00. Les jours de match au Hardhof, il y a ceux qui vont et viennent, et ceux qui passent un moment sur place. Après le coup de sifflet, la plupart des joueurs boivent une bière avec l’adversaire, discutent ou suivent d’autres matches. C’est surtout cette «troisième mi-temps» qui différencie la ligue alternative et le football normal en club, explique Mämä Sykora, président de la ligue depuis de nombreuses années. Il fait référence au codex du règlement de l’association: «De beaux matches contre des adversaires sympas, et non des matches hargneux contre des adversaires méchants.» Le respect à l’égard de l’adversaire est la règle absolue «et après le match, on se sert dignement la main.» Le fairplay est récompensé et au classement, ce n’est pas seulement la différence de buts qui compte. Les renforts extérieurs avec des joueurs de clubs «normaux» sont considérés comme déloyaux. Discrimination et violence ne sont pas tolérées. Au long de ses 14 années de mandat, Sykora n’a vécu qu’une agression. Le joueur a été banni de la ligue.

Dans le collimateur de la protection de l’État

Fondée en 1977, «l’Association progressiste suisse de football» (FSFV) ne poursuit plus d’objectifs politiques depuis longtemps. Autrefois, les cercles anarchistes espéraient rassembler la gauche à Zurich «si ce n’est autour d’une table, alors au moins sur le terrain de foot», écrit Christoph Kohler, ex-milieu de terrain, historien et auteur du film documentaire «Ein Tor für die Revolution». Très vite, les joueurs de gauche se sont retrouvés dans le viseur de la protection de l’Etat, comme le montre la fiche du 7 juillet 1977 (voir illustration). L’Office des sports zurichois aurait transmis à la police les listes des membres demandées pour l’utilisation du terrain. Les autorités ne s’en sont excusées que des décennies plus tard. En 1992, à l’occasion du 25e anniversaire et pour réparer le préjudice occasionné, l’Office des sports a mis à disposition de l’association le stade du Letzigrund de Zurich pour la phase finale.

Ambition et idéaux de gauche

Les fondateurs souhaitaient aussi diffuser leurs idéaux de gauche sur le terrain: arbitres, classements et maillots uniformes furent abolis. À l’inverse, le droit de grève fut introduit: celui qui avait l’impression que le fair-play était sacrifié pour «gagner à tout prix» pouvait exiger une interruption pour discuter. Mais d’après Kohler, cela s’est soldé par un échec, car «l’ambition et la volonté de gagner sont bien moins des symptômes du système capitaliste que de l’esprit même du football.» Moins fortes physiquement, les femmes l’ont ressenti. Si on les laissait jouer au début au nom de la parité, elles sont ensuite devenues moins nombreuses. Les joueuses déçues ont d’abord formé l’équipe féminine «Mama Zurigo», avant d’abandonner après une saison. Jusque dans les années 80, la ligue alternative était discrète.

Elle a connu un nouvel essor dans les années 90. En 1994, même les activistes de gauche se sont passionnés pour l’équipe nationale suisse durant la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Le football était aussi tendance chez les fêtards. De plus en plus d’équipes de clubs et bars branchés ou de lieux culturels ont rejoint la ligue alternative. Une dépolitisation a eu lieu sur le terrain: les arbitres ont été réintroduits et à ce jour, les règles officielles de l’Association Suisse de Football s’appliquent, à quelques exceptions près.

À Berne, Bâle et Saint-Gall

Au changement de millénaire, des ligues alternatives sont créées dans d’autres villes de Suisse alémanique comme à Bâle («Unsri Liga»), Saint-Gall («Brodworscht-League») ou Berne («F.O.U.L»). Là-bas en 1995, une équipe issue du centre culturel Reitschule a pris l’initiative de créer une ligue alternative composée d’abord de quatre équipes. Entre-temps, 20 équipes masculines se répartissent en deux catégories les jours de match à l’Allmend bernois. Sept équipes de ligue féminine les ont rejoints en 2010. Les footballeuses de «Miss en place» en font partie.

L’idée de créer une équipe féminine est née à l’automne 2013, après le travail, autour d’une bière, explique Lisia Bürgi. L’étudiante travaillait alors dans un restaurant de Berne dont le personnel avait déjà une équipe masculine. Bürgi n’avait encore jamais joué au football. Intégrer un club traditionnel à 23 ans, sans expérience préalable, aurait été compliqué. «Pour nous, le plaisir compte avant tout. Et c’est génial de constater que nous améliorons notre technique.» Comme avec six matches aller et six matches retour, il y a peu d’occasions de compétition dans la ligue féminine, l’entraînement hebdomadaire est très important. Les femmes de la ligue bernoise ont récemment suivi un cours intensif auprès d’un arbitre expérimenté. Comme dans les autres ligues alternatives, chaque équipe féminine doit constituer un trio d’arbitres pour les matches des autres équipes. «Cela nous a beaucoup aidées. Dans le feu de l’action, il n’est pas toujours facile de siffler un penalty.»

Theodora Peter est journaliste indépendante à Berne

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