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  • Société

Autrefois interdite, la langue des signes a aujourd’hui le vent en poupe

23.01.2020 – Mireille Guggenbühler

En Suisse, plus d’un million de personnes vivent avec un handicap auditif. Bon nombre d’entre elles ne peuvent pas participer à la vie sociale sans interprète en langue des signes. Raison pour laquelle le Conseil fédéral envisage une reconnaissance juridique de cette langue.

Brigitte Schökle est assise dans la salle de réunion de la Walkerhaus, étonnante maison en briques vieille de 120 ans, située au cœur de Berne. En face d’elle a également pris place Tanja Joseph, dont le visage est tourné vers la lumière afin que Brigitte Schökle la voie bien. Tanja Joseph est interprète en langue des signes, et elle est ici pour traduire. Car Brigitte Schökle est sourde. Âgée de 50 ans, elle dirige l’IGGH, communauté d’intérêts des sourds et des malentendants active dans le canton de Berne et dans la partie germanophone des cantons de Fribourg et du Valais. À chaque fois que Brigitte Schökle s’entretient avec des personnes entendantes, elle a besoin d’une interprète.

1778 francs par mois: telle est la somme, garantie par la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, dont Brigitte Schökle et tous les autres salariés sourds disposent chaque mois pour s’offrir les services d’un interprète en langue des signes sur leur lieu de travail. Une somme qui ne permet pas aux discussions de s’éterniser: «Elle couvre environ dix heures d’interprétation. C’est trop peu», note Brigitte Schökle.

Cet exemple illustre le plus grand problème des personnes malentendantes: la difficulté d’accéder à la communication. Ce problème ne surgit pas qu’au travail, mais partout où des sourds ou malentendants sont en contact avec des entendants, notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation, dans les administrations publiques, mais aussi dans le domaine de la culture.

«Nous vivons aujourd’hui dans une société façonnée par les médias et la communication. Mais bien qu’Internet ait révolutionné beaucoup de choses, il manque des vidéos en langue des signes ou sous-titrées dans les trois langues nationales dans de nombreux domaines», relève Brigitte Schökle.

La langue des signes: future langue nationale officielle?

Il est fort possible que, dans un avenir proche, les moyens de communication s’améliorent et les aides à la traduction deviennent plus présentes en Suisse. Par trois interventions parlementaires, le Conseil fédéral a en effet été prié de reconnaître juridiquement la langue des signes utilisée en Suisse (voir encadrés). Ce réveil politique a «suscité beaucoup de joie» dans la communauté des sourds, selon notre interlocutrice.

Une reconnaissance juridique de la langue des signes pourrait signifier que des mesures seraient prises pour lutter contre la discrimination des personnes malentendantes. Il est vrai, répond la Fédération Suisse des Sourds (FSS), que les fondements juridiques contre la discrimination des personnes atteintes d’un handicap auditif sont déjà «très complets et précis», mais ils sont trop rarement appliqués. D’après la FSS, les adultes sourds sont par exemple trois fois plus touchés par le chômage que les adultes entendants.

Près de 10 000 personnes sont sourdes ou très malentendantes de naissance en Suisse. Ce qui correspond à environ 0,2 % de la population. Et pas loin d’un million de Suisses vivent avec un handicap auditif.

La langue des signes autrefois interdite

Brigitte Schökle est devenue sourde à six ans, des suites d’une méningite. «Depuis lors, beaucoup de choses ont déjà changé en bien», dit celle qui, du jour au lendemain, a dû rejoindre les bancs de l’ancienne école pour sourds et muets de Saint-Gall: «Pour moi, ce changement a été un choc culturel.»

La langue des signes était autrefois interdite à l’école. Les élèves devaient se tenir les mains jointes dans le dos afin de ne pas pouvoir communiquer avec des gestes. C’est qu’à l’époque, les pédagogues étaient persuadés que les sourds devaient apprendre la langue parlée pour pouvoir faire leur chemin dans la vie. Ils devaient donc, comme les entendants, s’exprimer avec la bouche et non avec les mains.

Cette idéologie fut répandue lors d’un congrès de spécialistes de l’enseignement pour les sourds du monde entier, le congrès de Milan de 1880. Les conclusions de celui-ci eurent des conséquences de longue portée sur la vie sociale des sourds, notamment en Suisse, et ce jusqu’à nos jours. «Nous avons beaucoup souffert à l’époque de la pédagogie oraliste», insiste Brigitte Schökle.

Malgré l’interdiction d’utiliser la gestuelle au sein de l’ancienne école pour sourds et muets de Saint-Gall, les élèves ne se privaient pas de le faire entre eux pendant la pause de midi ou la récréation: «C’étaient les deux seuls moments où les éducateurs n’intervenaient pas. J’ai donc appris la langue des signes petit à petit, avec mes camarades de classe», relate l’ancienne élève.

Le soutien précoce est la clé

Aujourd’hui, les enfants sourds ou malentendants ne fréquentent plus forcément une école spéciale: ils peuvent être intégrés dans une classe régulière. Une partie des enfants (et des adultes) malentendants portent soit un appareil auditif, soit un implant cochléaire (implanté dans le limaçon, ou cochlée). Ils peuvent ainsi comprendre la parole, du moins partiellement. Aucun outil ne peut cependant remplacer une bonne audition.

Les aides auditives et l’école ne suffisent pas pour stimuler les enfants malentendants, déclare Brigitte Schökle, qui a elle-même trois enfants bien entendants: «Le soutien précoce est d’une importance cruciale. Les enfants malentendants devraient apprendre la langue des signes dès leur plus jeune âge et pourraient ainsi grandir bilingues.» Maîtriser deux langues, c’est avoir de meilleures chances de pouvoir suivre une bonne formation, les matières scolaires pouvant également être enseignées avec l’aide d’interprètes. Brigitte Schökle: «C’est précisément dans le domaine du soutien précoce que j’espère que seront prises des mesures si la langue des signes devait être juridiquement reconnue en Suisse.»

Traduire des concerts pour tous

Si la gestuelle des sourds paraissait volumineuse et imposante pendant l’enfance et l’adolescence de Brigitte Schökle, elle est aujourd’hui beaucoup plus fine et différenciée. Ce que les entendants ignorent souvent, c’est que la langue des signes n’englobe pas que des mouvements des mains et des mimiques, mais qu’elle possède aussi sa propre grammaire et sa syntaxe. «Elle n’est pas juste un outil, mais une langue à part entière», souligne Brigitte Schökle. Une langue qui est devenue «plus riche et substantielle» au cours de ces dernières décennies et qui n’a cessé de se développer.

De telle sorte qu’il est désormais possible de traduire des concerts entiers en langue des signes. Brigitte Schökle a elle-même beaucoup œuvré dans ce domaine. Elle est persuadée qu’en traduisant des manifestations culturelles, on bâtit des ponts entre les bien entendants et les malentendants.

Elle a vu lors de manifestations culturelles le public entendant fasciné par les interprètes en langue des signes ou par des slameuses sourdes, le regard rivé sur eux: «Cela tient notamment au fait qu’en langue des signes, on peut communiquer des messages au public de manière très imagée, vivante et émotionnelle.»

Elle ajoute: «Il est réjouissant que la langue des signes soit aujourd’hui acceptée dans le monde de la culture. Mais nous voulons en fait pouvoir participer à tous les domaines de la vie en jouissant des mêmes droits et en décidant pour nous-mêmes.» C’est aussi la raison pour laquelle la reconnaissance juridique de la langue des signes par le Conseil fédéral est, d’après Brigitte Schökle, «un pas dans la bonne direction».

Mireille Guggenbühler est journaliste indépendante. Elle vit à Thoune.

Selon Brigitte Schökle, la langue des signes est bien plus qu’un moyen de communication: «Il s’agit d’une langue à part entière» dotée d’une grammaire et d’une syntaxe qui lui sont propres. Photo Danielle Liniger

Diversité dialectale

La Suisse est l’un des derniers pays d’Europe où la langue des signes n’a pas encore fait l’objet d’une reconnaissance juridique. Genève et Zurich la mentionnent, il est vrai, dans leur constitution cantonale. Des efforts en vue d’une reconnaissance cantonale sont actuellement menés dans le canton de Vaud, à Berne et au Tessin. La langue des signes et la culture des sourds sont également mentionnées dans la loi bâloise sur l’égalité.

En Suisse, on utilise la langue des signes suisse alémanique, française et italienne. Côté alémanique, il existe en outre cinq dialectes régionaux en langue des signes (ZH, BE, BS, LU, SG).

La politique s’active

Les sourds de Suisse ont trouvé en Christian Lohr (PDC), Regula Rytz (Verts) et Mathias Reynard (PS) trois conseillers nationaux prêts à se battre au plan politique pour la reconnaissance juridique des trois langues des signes suisses. Le Conseil national a déjà adopté des postulats du trio en la matière. Outre la reconnaissance juridique, les trois politiciens exigent que des mesures concrètes soient prises dans le sens de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, et ce afin de «parvenir à une participation pleine et entière des personnes sourdes et malentendantes, sans exclusion ni obstacles».

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Commentaires :

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    Matthias Wilhelm, Detmold, Deutschland 28.01.2020 à 13:47
    Sehr interessanter und informativer Artikel! Ich bin in Detmold in der Kultur&Art Initiative aktiv; wir veranstalten jährlich ein internationales Kurzfilmfestival sowie internationale Jugendbegegnungen und Workshops, die wir inklusiv und barrierefrei durchführen. Auch dafür habe ich neue Anregungen bekommen, herzlichen Dank dafür!
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  • user
    Elisabeth Miche, Espagne 25.01.2020 à 12:35
    Bonjour Madame,

    Merci pour votre témoignage. Où avez-vous fait votre formation ?
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  • user
    Anne Hubert, France, Langon 25.01.2020 à 06:49
    Que les sourds et malentendants se sentent reconnus et intégrés me semble important. Pour atteindre ce but, qu’il soit demandé aux entendants de prendre en considération leur différence est indispensable.
    J’espère que, dans cette quête, les organisations qui représentent les sourds et malentendants se montrent plus ouvertes aux entendants qu’elles ne l’étaient il y a 30 ans. À cette époque, étudiante en droit en Suisse, j’étais sensible à la nécessité de communiquer en direct avec chacun. J’avais donc décidé d’apprendre la langue des signes. Dans mon entourage, il y avait deux personnes sourdes, elles n’étaient pas de ma famille et je ne les côtoyais pas au quotidien. Deux sésames cumulatifs indispensables pour accéder à une formation en langue des signes.
    Demander aux autorités de reconnaître les spécificités des sourds et malentendants me semble respectueux, mais il faut aussi que les instances représentant les sourds et malentendants se montrent ouvertes aux entendants dévoués. Les ponts doivent être créés dans les deux sens.
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